Aïd Al-Adha (la fête du sacrifice) avait bien sûr autrefois un goût différent. Au dehors de la prison du monde virtuel, les membres de la large famille et les voisins se visitaient et se voyaient face à face. Les enfants jouaient avec leur mouton et lui donnaient à manger quelques semaines avant qu’il soit égorgé. Ces jours-ci on voit émerger les sukuks, qui veulent dire des obligations conforme à la charia qui vous permettent d’acheter un mouton destiné à être consommé par les pauvres, c’est-à-dire un mouton virtuel. Celui-ci a remplacé le mouton acheté par les familles et élevé dans la maison avant l’Aïd. Dans les campagnes, il y a une habitude, un peu bizarre, qui existe depuis longtemps jusqu’à aujourd’hui, c’est de visiter les tombes des proches le premier jour de l’Aïd. Comme si ces gens simples voulaient dire qu’au summum de la joie, il ne faut jamais oublier la tristesse.
Un peu plus loin, dès le début de l’ère islamique, plus précisément durant l’état fatimide, ayyoubide et mamelouk, la célébration de l’Aïd avait une nature particulière. Durant l’ère fatimide l’Egypte connaissait presque 30 fêtes. Mais c’est surtout Aïd Al-Fitr et Aïd Al-Adha qui prenaient des formes expressives spéciales. L’ancien historien Al-Maqrizi dit que le peuple le matin d’Aïd Al-Fitr et d’Aïd Al-Adha, sort et erre dans les rues du Caire et d’Alexandrie; jouit des ombres chinoises, des figurines et des déguisements.
L’historien Ibn Taghribirdi, dans son livre «Les brillantes étoiles autour des rois de l’Egypte et du Caire», dit que l’Egypte a connu les grandes célébrations d’Aïd Al-Fitr et d’Aïd Al-Adha, où les arts de divertissement se sont multipliés, y compris sortir pour des promenades sur les rives du Nil, louer des bateaux et des voiliers pour une randonnée dans le Nil, et la même chose sur la plage d’Alexandrie. Les excursionnistes au Caire et à Alexandrie ont embauché des chanteurs pour jouir avec eux la joie des chansons de l’Aïd. D’ailleurs, des poèmes des symboles de la poésie à l’époque, comme Zafar Haddad et le juge Fadil et Al-Baha Zuhair ont été lus dans les jardins publics. Le poète mamelouk Ibn Daniel a appelé le sultan mamelouk Al-Zâhir Baybars à assister à trois pièces poétiques à Aïd Al-Adha qui représentent des situations comiques satiriques, présentées à travers les ombres chinoises populaires qui ont beaucoup évolué à l’époque de l’Etat mamelouk. Le savant Al-Suyuti, quant à lui, dans son livre «Causeries agréables au sujet de l’Egypte et du Caire» a mis l’accent sur le fait de divertir les gens en les faisant écouter Al-Sira (biographie) de Antar Ibn Shadad, Zat Al-Hemma (le surnom d’une femme), Abou Zaid El-Hilali, et Al-Zâhir Baybars, des poèmes oraux présentant des personnages populaires épiques, accompagnés la plupart du temps d’un instrument à cordes, aux parcs publics du Caire, de Fustat et d’Alexandrie.
Les califes tenaient à partager la joie de leurs peuples. Ils sortaient, le matin de l’Aïd, dans des cortèges officiels et distribuaient les cadeaux et les victuailles les plus luxueux aux pauvres.
Dans son livre «Voyage en Orient», Flaubert nous raconte, durant son séjour en Egypte à la fin du IXe siècle, son étonnement lors d’une parade dans les rues d’Egypte, à l’occasion d’une célébration d’une des fêtes, et où on se servait d’hommes travestis en femmes qui dansaient, car il n’était pas permis aux femmes de danser en public!
Quant à Aïd Al-Adha aujourd’hui, on mange toujours le fatta (composé de soupe, pain, riz et ail) et la viande; on distribue le reste de la viande aux pauvres, ou on paye un sukuk. On sort avec quelques amis surtout au cinéma; et on se contente de quelques messages sur les réseaux sociaux ou sur WhatsApp et c’est tout!